Une carrière d’un demi-siècle, une dizaine de films
marocains, 85 longs métrages étrangers, le comédien Mohamed Majd fut
flamboyant et couvert de lauriers à la télévision et au cinéma jusqu’à
sa mort le 24 janvier dernier. Récit d’une vie qui ne fut pas toujours
un long fleuve tranquille.
Lui qui ne pompait l’air, en manqua et expira
Issu de ce Derb Soltane, à Casablanca, si fécond en théâtreux, Mohamed Majd s’enticha précocement des tréteaux. Il dévorait, avec gourmandise, toute la littérature se rapportant à son objet de désir, ne manquait aucun rendez-vous théâtral et ne se sentait à l’aise qu’avec les personnes qui partageaient sa passion. A ce régime, les métiers du théâtre lui devinrent familiers, il choisit celui de comédien, pour lequel il s’avéra un élève exceptionnellement doué, s’acquittant de son rôle avec une aisance merveilleuse.
En témoignent ses prestations dans La règle et l’exception, adaptation par Abdelkader Badaoui de la pièce éponyme de Bertolt Brecht, ou Les Berbères, œuvre de Abdellah Mesbahi, où Mohamed Majd se montra à son avantage aux côtés des étoiles de l’époque, Mustapha Toumi et Abderrahim Ishaq. Le nouveau venu épatait par sa faculté de donner aux personnages qu’il campait un relief attachant, sans doute parce qu’il déployait un jeu dépouillé de fioritures, d’arabesques ou d’extravagances. En un mot, il ne surjouait pas ; il jouait juste. Nous étions au matin des années soixante du dernier siècle, la route de Mohamed Majd semblait tracée, c’est dans le théâtre qu’il s’accomplirait. Surprise : le prodige se mit à tourner le dos à son amour pour faire le siège d’un nouveau : la télévision, dont il obtint la faveur de prendre part à un feuilleton, Le sacrifice, orchestré par le trio Mohamed Reggab - Abderrahmane Khayat - Ahmed Haïdar, et servi par des comédiens de haut vol tels Mohamed Khalfi et Naïma Lamcharki. Cet épisode met au jour un des traits de la personnalité de Mohamed Majd : son aversion de l’engluement. Il préfère butiner à sa guise plutôt que de s’enfermer dans une pratique. Il était libre, Majd.
Très tôt, l’enfant de Derb Soltane s’enticha du théâtre
L’idylle entre la télévision et Majd vécut ce que vivent les roses ; cédant à son penchant donjuanesque, le comédien découvrit des charmes insoupçonnés au grand écran, et résolut de se convertir en acteur, profession à laquelle il s’initia par correspondance, puis par des stages à l’étranger. Un jeune réalisateur, du nom de Abdelmajid Rchiche, remarqua sa ferveur et sa foi dans son avenir cinématographique. Il en fut épaté. Manière de le mettre en selle, il l’engagea dans ses courts métrages, Six et douze (1968), Forêt (1970), Al Borak (1973). Mais si le talent du novice se mettait à s’exprimer, sa personnalité suscitait la défiance des cinéastes et producteurs installés. Tout se passait comme si cet homme épris de liberté, qui pardonnait mal la médiocrité en général et celle du milieu cinéphilique en particulier, avait été expédié au purgatoire des indésirés. Plus le temps passait, plus Majd prenait conscience de la vanité, ainsi que de la vacuité du milieu du spectacle. Il connaissait tous les tours et les détours du sérail : les grandeurs et les servitudes, les solidarités et les mesquineries, les rites désuets, les éloges de circonstance, les acrobaties diplomatiques entre les clans, les appuis qui élèvent et les peaux de banane qui font choir.
Du théâtre à la télévision, puis au grand écran
Mais les dés de l’histoire roulent. Tant que les consécrateurs haineux régentaient le septième art, Mohamed Majd se voyait assigné à la marche à l’ombre ; avec l’incursion d’une bande de jeunes hussards venus d’ailleurs pour secouer le cocotier, son destin prit une tournure plus radieuse. C’est Nabil Ayouch qui, le premier, osa parier sur ce méconnu, en lui faisant incarner le personnage de Lbahri dans son joyau Ali Zaoua. C’était en 1999, il était presque soixantenaire et pratiquement anonyme, sauf pour les avertis. La qualité de son jeu convainquit critiques et cinéastes, et on le retrouva en 2002 dans le tragique Et après de Mohamed Ismaïl, donnant la réplique à son compère Mohamed Miftah. La même année, il étonna dans le chaleureux Cheval de vent du duo Ahmed Bouanani-Daoud Aoulad Syad, ce qui lui a valu le prix d’interprétation masculine du Festival de Nantes. Dans Mille mois (2003), signé Faouzi Bensaïdi, il composa un grand-père attendrissant. En 2004, Nabil Ayouch, admiratif, l’invita à illuminer Une minute de soleil en moins. Mais c’est dans ce festin spirituel qu’est Le Grand voyage (2006), d’Ismaïl Ferroukhi, que Mohamed Majd se transcenda, déployant un talent incommensurable que le surréaliste En attendant Pasolini (2008), réalisé par Daoud Aoulad Syad, vint confirmer, et le glauque Zéro (2012), de Noureddine Lakhmari, sceller.
Anonyme pendant longtemps, Mohamed Majd prit sa revanche sur le destin à 60 ans
Mohamed Majd était revenu de loin, de très loin. Ignoré la plupart de sa vie, il connut la gloire du jour au lendemain. Juché sur ce piédestal jusqu’à son départ pour l’autre monde, il ne faisait pas de cinéma. Discret jusqu’à la moelle, le narcissisme n’était pas sa pente, ni donc la confidence. Il pratiquait la pudeur avec méthode et sourire. Dans ce dernier affleurait un peu de mélancolie. Il parlait doucement, en se méfiant des grands mots qui font passer pour un donneur de leçons. Il se montrait courtois, mais se liait rarement d’amitié. A cause de sa superbe qui refusait toute compromission, il fut assimilé à Alceste, le misanthrope de Molière. Ce qui nous touchait, c’était que la misanthropie de Majd n’était pas une aversion pour le genre humain, mais un refus de pratiquer l’hypocrisie sociale. Comme le héros de Molière, il aurait pu s’exclamer : «Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme d’honneur, on ne lâche aucun mot qui ne vienne du cœur».
Mohamed Majd n’était pas seulement un nom de légende à faire saillir les rêves, il constituait aussi un des rares acteurs marocains dont la réputation franchit les frontières, grâce aux nombreux films, 85 précisément, qu’il a tournés sous la conduite de cinéastes étrangers.
Dès 1976, il a joué dans Le Message, du réalisateur américain d’origine syrienne, Mustapha Akkad, aux côtés d’Irène Papas et Anthony Quinn. En 1990, il s’illustra dans Les Mille et Une Nuits, de Philippe de Broca, tourné au Maroc. Puis, il se fit remarquer dans Syriana (2005), mis en images par Stephen Gaghan, et rehaussé par la présence de George clooney et Matt Domon. L’année suivante, Mohamed Majd partageait l’affiche avec Roschdy Zem dans Indigènes, du Franco-Algérien Rachid Bouchareb. Il a été également dirigé par Richard Stroud (dans le téléfilm Deadline), François Luciani, Bernard Stora, Pierre Aknine, Stéphane Kurk, Harry Winer, Florent Emilio Siri, auteur de L’ennemi intime, où Benoît Maginet et Albert Dupontel tiennent la vedette, ou encore le Roumain Radu Mihaileanu, dont La Source des femmes fit sensation.
Entier, sentimental, affranchi des conventions, Mohamed Majd était admiré des cinéphiles les plus aguerris. Surtout qu’il n’avait pas son pareil pour faire palpiter un film, sans chercher l’effet, et transmuer un navet ou nanar en bout filmé regardable. C’est de ce prodige-là que la scène marocaine est aujourd’hui orpheline, et c’est une perte irréparable.
Et-Tayeb Houdaïfa. La Vie éco
www.lavieeco.com
www.lavieeco.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire